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Le Serment Brisé

par Marcus Poirier
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« Cette première short story a été écrite à la manière d’un prologue ou d’un chapitre d’ouverture d’une histoire plus longue.

C’est pour moi un premier essai qui m’a beaucoup aidé à découvrir l’écriture et les difficultés que l’on peut rencontrer. »

L’air humide de la geôle lui indiquait que la nuit tombait, la dernière avant son jugement. Le son d’une goutte tombant à répétition sur les barreaux semblait compter chaque secondes de son incarcération. Seul la faible lueur d’un flambeau au fond du couloir lui permettait de distinguer quelque chose dans cet espace sombre. Le silence fut rompu par le bruit d’une petite escorte qui approchait au fond du couloir.

« Dépêchez vous, nous n’avons pas beaucoup de temps, semblait dire une voix masculine ». Le prisonnier restait stoïque adossé au mur de pierre humide. Le groupe approcha de la cellule dont la façade était uniquement constituée de barreaux. L’homme plissa les yeux, ils n’était plus habitués à la lumière, même pour celle d’une simple torche. La lueur révéla son visage encore marqué des récents évènements ainsi qu’une cicatrice sur la joue non loin de l’œil qui le gênait visiblement pour voir.

Une femme à la chevelure rousse précédait le groupe. Elle portait une tenue qui témoignait de sa haute position, un ensemble gris cendré ainsi que des braies ajustées. Le port de braies était courant pour les femmes des Îles Brisées quoi que peu commun pour celles de haute stature. Une broche dorée représentant une mâchoire de squale était attachée à sa veste. Elle s’avança la première et s’agenouilla, prenant les mains du prisonnier dans les siennes. « Damon. », elle caressa ses hématomes du bout des doigts avec tendresse. Il grimaça puis lui esquissa un sourire qui ressemblait plutôt à un rictus. Elle reprit.

« Nous n’avons pas pu venir plus tôt, notre frère interdit formellement toute visite. Mance est venu me trouver, il m’a raconté ce qu’il s’est réellement passé ce soir la. » Quelque chose dans son expression laissait penser qu’elle n’était pas encore sûre de ce qu’elle devait croire. Parfois, l'amour prend le dessus sur la raison et vient obscurcir notre jugement.

À la vue de sa sœur, le visage de l’homme reprit quelques couleurs. Il tenta de bouger, ce qui fut particulièrement une mauvaise idée, ses hématomes se réveillèrent de plus belle. Il grimaça à nouveau puis esquissa un sourire vers sa sœur.

«  Ne t’en fais pas pour moi petite soeur, une fois de plus, il n’aura pas le courage d’aller jusqu’au bout.

— Détrompe toi. Lucian est résolu cette fois-ci. Il souhaite faire un exemple.

— Il expose notre famille. Jamais je n’aurai fait telle folie.

— Il ne souhaite pas ta mort, au contraire, il prévoit de te laisser la vie sauve. En exil. »

Damon se surprit à rire intérieurement. Son frère savait pertinemment qu’il ne choisirait jamais cette option. Jamais il ne se soumettrait.

Le guerrier qui montait la garde se retourna puis s’avança derrière la princesse « Mance, mon vieil ami, tu t’en es sorti » lança Damon, il s’empoignèrent le bras. Un expression de soulagement put se lire sur le visage du prisonnier.

«  Ces chiens de l’Inquisition, ils connaissaient nos plans dans les moindres détails. Nous avons réussi a leur échapper mais de nombreux frères sont morts. J’aurai du être à vos côtés, déplora Mance.

- Ta mission était plus importante encore. »

Sybille les regardait, d’un air emplit de questions. Damon se demandait ce que lui avait exactement raconté Mance, ou plutôt, quelle version. Il ne le saurait visiblement pas car des bruits de pas approchaient du bout du couloir. Un des hommes restés pour faire le guet leur fit signe.

« Nous n’avons pas beaucoup, intervint Sybille.

- Mon frère, si je peux faire quoi que ce soit pour toi, dis le moi. »

Damon lui fit signe d’approcher et après avoir dit de derniers mots à Mance, l’escorte se retira en emportant les derniers rayons de lumière avec eux.

Alors que les gardes ouvraient les portes des geôles, la lumière du jour vint transpercer Damon. Ses yeux mirent plusieurs minutes avant de se ré-habituer à la luminosité ambiante. Sonné, il traversait les différentes places de Hurleflots qu’il connaissait si bien. Il avait toujours eu l’esprit rebelle, et bien que chacune des personnes présentes fut ses sujets, il avait pris plaisir plus jeune à arpenter les rues de la ville avec des enfants des classes plus modestes. Le marché, si vivant d’habitude, avait été annulé en ce jour. Il se souvenait avoir volé maintes fois des vivres sur les étals des marchands avant d’aller les savourer sur la jetée avec Mance et les autres enfants de la bande.

Le cortège continuait d’avancer. Ils se dirigeaient à présent en direction de la place centrale, aux bords du Cineris, le fleuve qui coupait Hurleflots en deux. C’est la que se tenait un spectacle impressionnant, qui laissait stupéfait n’importe quel visiteur de la capitale. La « Vierge Noire », le vaisseau de la famille royale, joyaux de la flotte Korsandres se dressait là, au milieu de la ville, tel un monument enraciné. Composé de trois mâts et de trois ponts, le navire était certainement la plus belle œuvre d’architecture navale de l’histoire. Le navire était à l’image du la population des Îles Brisées, abrupt, cinglant, sa coque noire était enchâssée des restes de cartilage de grand squales. Un joyaux aussi impressionnant que terrifiant mais enchaîné depuis de nombreuses années, cloué au sol sous un échafaudage tout aussi imposant qui le maintenait hors de l’eau. Nombreux était les jeunes marins à ne l’avoir jamais vu naviguer. Une vision qui fit encore crisser les dents Damon, le symbole de sa famille était muselé depuis de nombreuses années. Si la Vierge Noire était immobilisée, la vie continuait cependant de l’habiter. Une petite ville pleine de vie y travaillait quotidiennement et profitait de ses infrastructures.

Depuis des centaines d’années, toutes les cérémonies importantes étaient réalisées sur ce navire, symbole de la puissance de la famille royale. En ce jour, le jugement d’un prince allait bouleverser la ville. Alors qu’ils approchaient, la foule se faisait de plus en plus dense, les injures et menaces à sont encontre commençaient à pleuvoir. « Traître ! », Damon reçut un projectile au visage. À l’aspect, il préféra penser que c’était de la boue. Les gardes durent se frayer un chemin aux abords de l’échafaudage. Un monte charge permettait d’accéder au pont principal. Une fois en haut, Damon pouvait voir l’entièreté de la ville et il entendait toujours les clameurs de la foule.

Ils mirent pieds sur le pont, des tribunes avaient été installées à l’occasion. « Installez le avec les autres » cracha Thorne, le capitaine de la garde. Damon reconnut alors ses hommes, les derniers à avoir survécus. La tradition exigeait de leur peuple exigeait que les traîtres soient jetés à la mer après quelconque mutilation pour s’assurer que les bougres n’arrivent pas à s’en sortir. Le degré de cruauté de la mutilation dépendait de la gravité de la traîtrise, certains optait pour une blessure au ventre pour une morte lente. D’autres préféraient l’aveuglement pour une noyade des plus terrifiantes. Le but de cette cruauté était bien avant tout de dissuader les mutineries mais Damon n’était pas sur de cela. Il s’était toujours dit que son peuple avait plaisir à réaliser de tels actes et cela constituait également leur force.

Lucian avait donc tout de même respecté un minimum les traditions avec cette mise en scène. Juste derrière la planche qui avait été installé, Damon reconnaissait dans l’ordre Leander, Quill et Pitt. Le reste du groupe était derrière à genoux et des fers aux mains. Les gardes placèrent Damon estrade face aux tribunes constituées de hauts dignitaires des Iles Brisées. Il en reconnaissait quelques uns, comme ce gras du bide de Grenn. Ce dernier avait gravi les échelons rapidement grâce au commerce de contrebande avec les Royaumes du Sud. Ce genre de personnage l’écœurait. Du temps de son père, de tel personnages ne serait jamais arrivés au pouvoir. Sur les Iles Brisées, le pouvoir se gagne par la poudre et le sang, et non pas par la quantités de pièces d’or dans sa bourse.

Un coup de pied envoya Damon sur les rotules. En relevant la tête il le vit, au centre de la tribune. Son frère Lucian, l’observait silencieusement, l’air grave. Ses cheveux roux caractéristique de la famille Korsandres étaient attachés soigneusement lorsque ceux de Damon dégoulinait sur son visage. À sa droite, l’Exarque Quintus, représentant de l’Inquisition à Hurleflots se leva et prit la parole :

« Prince Damon Korsandre, vous êtes accusé d’avoir conspiré contre votre seigneur et d’avoir fomenté une terrible tentative d’assassinat. Un complot heureusement déjoué par notre Saint Ordre. Vous connaissez le châtiment réservé aux traîtres. Cependant, en tant que membre de la famille royale, Sa Majesté, dans sa grande bonté, consent à vous laisser la vie sauve si vous avez vos crimes. Vous terminerez vos jours sur les Côtes Brumeuses. Repentez vous, ou mourrez. Loué soit la maison Korsandre et loué soit l’Aîné. »

Damon aperçut sa sœur sur une tribune adjacente, ses yeux semblaient l’implorer de ne pas faire de vague.

« Les Côtes Brumeuses ? Non, la gueuse se fait rare par là-bas.

Des clameurs de stupéfaction s’élevèrent des tribunes. Quill pouffa, Pitt sembla moins enthousiaste :

— Continue comme ça Dame’, j’ai tellement hâte de piquer une petite tête.

— La tête t’en auras plus quand tu toucheras l’eau imbécile, lui murmura Quill.

— La ferme bandes d’idiots ! Restez concentrés, les interrompît Leander. Ca avait toujours été le plus mesuré de la bande, et celui dont on écoutait les conseils. »

« Votre insolence sera condamnée. Votre Majesté, je recommande de procéder à l’éxécution de ces traîtres sans attendre, s’insurgea l’Exarque. »

Damon regarda à nouveau en direction de sa soeur. C’était trop tôt.

« Cette fois encore tu es trop lâche pour prononcer la sentence toi même ! Hurla-t-il en direction de son frère. »

L’auditoire entier se tut. Quelques cris de stupeurs se firent à nouveau entendre. L’Exarque voulut dire quelque chose mais il fut interrompu par le Seigneur des îles Brisées.

« Tu déshonores cette famille, il marqua un temps d’arrêt puis reprit. Toi qui prétend la servir tu fais tout pour la détruire, tu l’as prouvé à maintes reprises depuis des années. Si je pouvais fermer les yeux sur les actes d’un jeune imbécile, aujourd’hui tu es un homme et tes actes ne peuvent plus être tolérés. Tu es allé trop loin cette fois-ci.

— Ta propre faiblesse nous déshonores chaque jours. Notre famille n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était. Où son passés les seigneurs des mers que nous étions ? Les guerriers qui prennent ce qui leurs revient par la force ? Au lieu de cela nous sommes là, à partager ce que nous avons acquis par le feu et le sang avec des parvenus, des faibles et des eunuques. Notre flotte ne devrait pas se dessécher à l’air du vent mais arpenter les mers et faire régner notre suprématie comme du temps de nos ancêtres. »

La foule était en ébullition, la majeure partie de l’auditoire s’insurgea contre les insultes qui leurs avaient été proférées, tandis que quelques soldats et marins restèrent stoïques face aux propos du prince. Le calme revint lorsque Lucian reprit la parole.

« Tu n’es qu’un enfant gâté. Tu te prends pour un seigneur des mers alors que tu ne connais rien à la guerre et à ce qu’elle engendre. En tant que seigneur des Îles Brisées je suis responsable de toutes ses citoyens. Et toi, regarde où tes manigances t’ont menées. Où elles ont menés ces hommes qui te sont fidèles. »

Damon était en ébullition. Les paroles de son frère l’avait mis dans une rage tellement intense qu’elle lui faisait oublier toutes ses douleurs et hématomes. Il tordit ses poignets enchaînés jusqu’à se faire saigner.

« Tu ne mérites pas ma clémence. Celle la même que tu prends pour de la faiblesse. » Lucian se tourna vers Thorne. « Capitaine ! Envoyez ces traîtres par le fond. »

Il s’exécuta aussitôt et trancha la gorge de Leander avant de jeter son corps par dessus bord. Damon ne put s’empêcher de lâcher un hurlement en voyant le corps de son ami disparaitre. La rage laissa place à l’effroi. Quill, second à passer sur la planche était pétrifié et Pitt ne pu contenir ses entrailles de se déverser par sa bouche. Alors que Lucian faisait dos à la scène pour retourner à son siège Damon tourna frénétiquement la tête en direction de sa soeur. Elle n’était plus là, Mance avait pris sa place, ce dernier lui fit signe de la tête. Il grinça des dents, et ne put se contenir :

« Au nom des Dieux, c’est toi que je déclare coupable ! Coupable d’avoir trahis ton pays, en ayant laissé l’Inquisition prendre le pouvoir sur nos terres. Coupable d’avoir délaissé ton peuple, qui souffre alors que tous les parvenus qui t’entourent s’enrichissent du commerce avec nos ennemis. Coupable d’avoir affaiblit notre famille en reniant ce que nous sommes. Et jamais tu n’emprisonneras la volonté de notre peuple ! »

À ce moment un bruit sourd retentit dans toute la capitale ses environs. Une explosion vint pulvériser l’échafaudage sur lequel se tenait la Vierge Noire. Le souffle brisa les fenêtres des commerces proches. Le pont du navire gronda et tous les passagers perdirent l’équilibre. Quill en profita pour se saisir de l’arme de Thorne passa par dessus bord. Le vaisseau royal se pencha puis amorça sa descente fracassante vers la baie. La tribune s’effondra et envoya la majorité de ses occupants plonger la tête la première. La Vierge Noire était à l’eau pour la première fois depuis des années.

Une partie des gardes étaient passé par dessus bord lors de la manoeuvre, et avant que l’autre partie aie pu reprendre ses esprits et comprendre ce qui venait de se passait, les prisonniers s’étaient déjà jetées sur eux. Mance tenait l’Exarque Quintus sous le fil de sa dague. Damon finissait d’étrangler son geôlier et se libéra de ses liens. Les hommes du groupe de Mance qui s’étaient faufilés durant la cérémonie s’employaient déjà à libérer la voilure. Le navire continuait sa course le long du Cineris en direction de la Baie des Cendres et s’apprêtait à sortir de la ville. Lucian qui c’était redressé l’épée à la main était déjà entouré par le reste des hommes de Mance.

« C’est terminé mon frère lâche ton arme.

— Sais-tu ce que tu viens de faire ? Tu vas déclencher une guerre. Abandonnes, il est encore temps,  lâcha froidement Lucian.

— Nous avons toujours été en guerre mon frère. »

Après avoir chassé par dessus bord les derniers gardes et invités, les hommes de Damon se rassemblèrent finalement autour de la scène.

« Maître Duncan ! Dit-il en s’adressant à Mance. Veuillez escorter mon frère, il souhaite se rafraîchir un peu. »

Alors que Lucian montait sur la planche près à sauter dans la baie, il se tourna une dernière fois vers Damon.

« Un jour peut-être, tu comprendras les choix que j’ai du faire ». Il sauta alors et disparut rapidement dans la brume environnante.

Pitt sortit d’un tonneau dans lequel il était tombé lors du basculement du navire. « Alors, j’ai raté quelque chose ? », Quill vint lui taper sur l’épaule : « Tiens donc, je me demandais justement pourquoi le plan s’était déroulé sans accro’ ».

Après avoir distribué des ordres aux hommes Mance vint trouver Damon sur le deuxième pont supérieur. « Leander...souffla-t-il.

— Ils devront payer pour ça. »

Les deux hommes prirent quelques seconde pour contempler la Vierge Noire fendre les flots, elle n’avait rien perdu de sa superbe. Un spectacle impressionnant qu’aucun marins de leur génération n’avaient pu contempler.

« Et maintenant Capitaine, que faisons-nous ?

— Maintenant ? Nous faisons goûter à l’Inquisition le goût du sel et du sang. »